Présentation

Issues d'une commande passée en 1996 par l'Etablissement Public du Parc de la Grande Halle de la Villette, 30 photographies argentiques tirées de Polaroid SX 70 diversement manipulés. Dans la Folie Accueil de Bernard Tschumi, l'exposition proposait une redécouverte du "plus grand parc urbain de France"
Accompagnées d'un texte de Gilbert Lascault, ces images nous renvoient aux gravures de l'imaginaire, à la fiction : celle de la perte d'un lieu, d'un temps, pour une autre conquête de ce lieu exhumé d'un passé terrible.

03-Parc

Quelque chose aurait eu lieu. Quelque chose. En un instant. En cet instant particulier. En une fraction de seconde. En moins de temps encore que cela. Quelque chose aurait eu lieu. Ceci aurait eu lieu. Ceci aurait eu lieu dans ce que l'on appelait le parc de la Villette. Ailleurs aussi peut-être, mais tu n'en saurais rien. Tu n'aurais de preuves qu'en ce qui concerne le parc de la Villette : de preuves, de documents, d'archives.

04-Parc

C'est dans le temps, c'est par le temps que le parc de la Villette serait sorti du temps, aurait échappé au temps. Clic-clac en une infime fraction du temps, le temps aurait été aboli.

05-Parc

Tu ne dirais pas que rien, désormais, ne sera plus comme auparavant. Il n'y aurait plus d'avant, plus d'après. Ni passé, ni présent, ni futur. "No future". Le parc de la Villette aurait été tout entier projeté en quelque sorte dans l'éternité. Il serait sorti du monde de l'éphémère, des passages, du transitoire, du fugitif.Il serait sorti de la vie, par là même.

06-Parc

Si tu es pessimiste, tu dis que le parc de la Villette est condamné à rester enfermé en lui-même à perpétuité : condamné à l'immobilité forcée. Si tu es optimiste, tu affirmeras que le parc de la Villette a découvert le moyen de persister dans son être.

07-Parc

Le parc de la Villette surgirait tel qu'en lui-même l'éternité le change.
Aprés on ne sait quel "désastre obscur", dirais-tu aussi, hanté par les textes de Mallarmé, le parc se maintiendrait, stable.

08-Parc

Une immense horloge brisée signifierait le temps aboli, la durée révoquée. La marche des passants serait marche arrêtée, mouvement définitivement arrêté. Saisis au milieu d'un jeu, les enfants, éternellement, demeureraient suspendus à un anneau, ou une jambe levée, ou immobilisés au milieu d'un toboggan, ou les deux pieds au dessus du sol, en l'air.

09-Parc

Par endroits, le sol du parc aurait basculé. Ailleurs, les poutres et poutrelles métalliques seraient gauchies, gondolées. Ailleurs encore les surfaces planes seraient froissées, plissées. Au-dessus du parc, le ciel serait devenu sable.

10-Parc

Les colonnes de métal se seraient courbées, sous l'effet d'une chaleur intense. Ou bien, comme si elles avaient été plongées dans un bain d'acide. Mais, courbes, elles continueraient à soutenir ce qu'elles avaient pour fonction de soutenir. L'épreuve même qu'auraient subie les structures aurait montré leur résistance.

11-Parc

Brusquement, les couleurs de l'univers auraient tourné, auraient viré. Et le changement des couleurs aurait produit une modification de la nature de toute chose, une modification définitive, irréversible. A tout jamais. A tout jamais.

12-Parc

La loi de la chutes des corps aurait été abrogée par on ne sait quelle autorité, peut être en l'absence de toute autorité. La gravité( dans tous les sens que peut prendre ce terme) aurait été abolie.

13-Parc

Il y aurait du ludique, comme si d'enfantines divinités avaient, peut être, joué avec le temps et l'éternité, avec l'eau, la terre, l'air et le feu, avaient joué avec les couleurs, avaient joué avec les droites et les courbes, avaient joué avec les mouvements et les immobilités, avec les pleins et les vides. Avaient joué.
Oui, peut être, des divinités enfantines.

14-Parc

Ou bien, des tigres invisibles et omnipotents, des tigres fantômes seraient venu griffer notre monde.

15-Parc

Cela se serait passé sans bruit, sans éclat, sans trompettes, sans éclairs, sans tonnerre en un étrange silence.

16-Parc

Quelque chose aurait eu lieu. Quelque chose. Quelque chose qui n'aurait pas été spectaculaire. Nul n'aurait vu quatre cavaliers, galopant au milieu des nuages, au dessus du parc, chevauchant l'un un cheval rouge feu, l'autre un cheval blanc, le troisième un cheval noir, le quatrième un cheval verdâtre. Aucun dragon n'aurait marché entre les folies du parc. Les astres du ciel ne seraient pas abattus sur le parc, telles les figures pourries que projetterait un figuier tordu par la bourrasque. Non, rien de spectaculaire...
Pourtant quelque chose aurait eu lieu.
Gilbert Lascault.